Des idées à revendre

Notre article d'hier a fait mouche, merci pour les partages et messages...
Il reste 4 jours avant les JEMA et donc pour nous 4 articles à écrire, en essayant d'être au plus près des problématiques que les artisans d'art aimeraient soumettre à leurs concitoyens lors de cet événement important.

Aujourd'hui, je dois écrire à la première personne puisque je vais traiter de cette notion: "auteur".

Un artisan d'art, qu'il soit déclaré comme artiste ou artisan (voir notre article sur ce sujet), a une spécificité: il invente des modèles, des dessins, des pièces uniques, des techniques et parfois des matières ou des textures, ou bien à travers la restauration il en perpétue la réalisation dans les règles de l'art, c'est à dire en étant fidèle à l'artiste d'origine. Il y a donc création, ou restauration.

Dans cet article, c'est la création qui nous intéresse. Pour ma part, je suis mosaïste et lors des JEMA (ou des salons) je rencontre beaucoup de gens qui pratiquent la mosaïque en amateur et aimeraient bien en faire leur métier. Le problème, c'est que, lorsqu'ils me montrent leurs """créations""", à 99% ce ne sont pas des oeuvres originales. Parce que les gens ignorent que la moitié du travail d'un artisan d'art consiste à dessiner ou à composer, c'est-à-dire à faire un travail d'auteur - et c'est là que se situe en grande partie la qualité professionnelle d'un artisan d'art créateur, qui lui vaut sa légitimité et la reconnaissance de ses pairs.

Le problème, c'est que cette qualité essentielle, fondamentale et chevillée au corps de l'artisan d'art n'est pas assez claire dans l'esprit du citoyen.
Voilà pourquoi le visiteur ne voit aucun inconvénient à photographier tout ce qu'il trouve beau, parfois juste pour soi (pourquoi pas), mais souvent, très souvent, pour s'inspirer (acceptable), pour copier (peu glorieux), pour reproduire et vendre (inacceptable).
Le photographe tous azimuts peut aussi vouloir simplement communiquer sur ses réseaux sociaux une belle découverte, son intention est très louable là n'est pas le problème, mais il doit apprendre que toute oeuvre doit être identifiée comme étant celle d'un auteur/ on peut aussi dire designer. Et malheureusement, bien des images circulent (il serait facile mais douloureux de publier ici des photos de créations artistiques totalement anonymes, il suffit de se connecter sur Pinterest), deviennent des sources d'inspiration sans que jamais l'auteur n'en tire le moindre revenu ni la moindre reconnaissance.
Or, si l'idée d'être une source d'inspiration est flatteuse, il suffirait d'une mention de sa propriété intellectuelle pour que l'auteur soit reconnu (au minimum), et puisse éventuellement être contacté pour réaliser une vraie vente ou une commande grâce à cette identification. Sans heurter les visiteurs, incitons-les à intégrer cette bonne pratique qui est porteuse pour notre secteur.

Cela dit, c'est à chacun de gérer sa politique par rapport à cela. Je trouve que l'on constate une bonne évolution (un nombre croissant de gens demandent s'ils peuvent prendre une photo et en indiquent l'utilisation) - mais il ne faut pas abandonner cette sensibilisation au droit d'auteur et à sa mention. Si le droit à l'image est roi, le droit à la mention d'un auteur doit aussi se généraliser dans les mentalités.

Cet article ne serait pas complet sans évoquer une problématique d'une toute autre dimension, et qui d'ailleurs permet de relativiser les petits soucis évoqués ci-dessus: la contrefaçon à grande échelle.
L'artisan d'art français est un collaborateur/une cible de choix pour de nombreuses entreprises (souvent étrangères) qui saluent/jalousent notre créativité.
La première entre en contact avec le talentueux créateur et lui propose un contrat d'édition: éditer ses pièces, c'est les fabriquer en plus grande série et les vendre, en mentionnant (ou pas, mais c'est contractuel) son nom. C'est une belle aventure, a priori gagnant-gagnant.

La seconde spolie le talentueux créateur et contrefait son travail sans rien lui dire, sans rien lui payer, et sans aucun scrupule. C'est un cauchemar, à tous les coups gagnant-perdant.
À titre d'exemple, tout récemment l'ébéniste-maroquinier Damien Béal a découvert sur Instagram qu'une marque russe (Breatley) avait pour collection entière des contrefaçons grossières de ses sacs, eux d'une très grande originalité et vraiment connus pour leur mélange bois-cuir. Sans moyens pour engager une procédure à l'international, il a essayé d'utiliser les réseaux sociaux mais la marque en question a bloqué des centaines de messages et de comptes, au lieu de se remettre en question et de négocier avec l'auteur.
Cette situation est très déstabilisante pour un créateur, parce qu'elle révèle le manque de protection, la fragilité de ce droit de propriété intellectuelle et la difficulté à le valoriser. Les pouvoirs publics doivent y travailler.
À suivre, donc.

Je vous laisse méditer là-dessus, toujours dans un esprit positif et constructif! et demain nous évoquerons la thématique de cette édition 2018 des JEMA: "Futur(s) en transmission"... Cela inclut la reconversion, car oui le futur des métiers d'art appartient aux jeunes mais aussi aux plus vieux qui se lèvent tôt ;-)

Delphine Lescuyer
Mosaïste-auteur
(et présidente de l'association Singuliers Objets)

PS: pour défendre l'idée de la création d'une branche professionnelle Métiers d'Art une pétition existe et doit circuler dans les prochains jours car des réformes sont en cours... Plus d'infos ici: http://www.unma.fr/#

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