"Et vous en vivez?", that is the question...
Démonstration de tournage à l'atelier 24 |
"Et vous en vivez?"
Cette question est LA question. Celle que posent beaucoup de gens lors des JEMA, poussés par un intérêt qui va jusqu'à l'indélicatesse, la question que les artisans d'art redoutent, appréhendent, n'apprécient pas vraiment.
Cette question est LA question. Celle que posent beaucoup de gens lors des JEMA, poussés par un intérêt qui va jusqu'à l'indélicatesse, la question que les artisans d'art redoutent, appréhendent, n'apprécient pas vraiment.
Parlons-en, donc. Cette question comporte un double flou, qui traduit bien le léger malaise de celui qui ose la poser: le "en" et le "vivez". Cette question qui semblerait presque anodine en cache deux, bien plus concrètes et intéressantes: "de quoi vivez-vous?" et "combien arrivez-vous à gagner?".
Il faut d'abord savoir que très peu d'artisans d'art arrivent à gagner l'équivalent d'un SMIC, en travaillant souvent bien plus de 35h/semaine, parfois en formant des jeunes apprentis, des stagiaires... La plupart sont donc des travailleurs très mal rémunérés, et - à notre humble avis - des Journées comme les JEMA n'évoquent pas assez cette problématique.
De quoi vivent les artisans d'art? Leur passion donne assurément un sens à leur vie, mais on n'en "vit" pas et ils ont besoin comme tout travailleur, d'un revenu.
Ce revenu provient de leurs ventes.
Leurs ventes peuvent être de plusieurs natures:
1) la vente de leurs créations (c'est le top), à un juste prix - car beaucoup le calculent mal et vendent avec un taux horaire digne d'une usine chinoise
2) la vente de leur savoir-faire, à travers des cours - beaucoup d'artisans d'art survivent grâce à cela.
On pourrait s'arrêter là, car c'est l'essentiel des revenus d'un artisan d'art.
Passons maintenant à tout ce qu'offre un artisan d'art, notamment lors des JEMA:
1) il offre un accueil chaleureux au visiteur, et même parfois le café
2) il offre à la société, son choix de ne pas rallonger la liste des demandeurs d'emplois, mais de créer sa propre activité sans rien demander à personne, et sans coûter grand-chose à la collectivité
3) il se livre à des démonstrations devant un public friand: il tourne de la terre ou du bois, souffle du verre, martèle le métal, etc, etc... et ce, sans rien demander.
4) il expose des créations originales qui inspirent l'amateur... comme la marque un peu à court d'idées. Les appareils photo sont de sortie, et parfois même les visiteurs expliquent sans sourciller que "ça donne des idées".
Au musée les photos sont interdites... mais pas à Révélations |
Donc, un artisan d'art: ça donne, plus que ça ne vend. Et c'est bien pour cela que la question "Et vous en vivez?" vient naturellement à la bouche du visiteur qui constate cette générosité incroyable du professionnel. Car qui irait poser cette question à un viticulteur qui reçoit et organise des dégustations mais en sachant que personne n'osera repartir sans un carton de vin? Qui oserait rentrer chez un coiffeur pour observer son savoir-faire, ses outils, ses produits et repartir en lui disant "ça donne des idées"? Quel chef cuisinier monterait devant le public ses sauces et partagerait ses techniques sans obliger le visiteur à s'attabler dans son restaurant?
Il faut avoir cela en tête lors des Journées Européennes des Métiers d'Art, que beaucoup de gens confondent vaguement avec les Journées du Patrimoine. Les artisans d'art français ne sont pas un patrimoine acquis, immuable, issu d'un passé d'opulence et de prestige. Ils sont un peu comme une espèce à protéger, une richesse humaine qui a besoin d'un avenir, d'un encouragement perpétuel à poursuivre une activité passionnante mais économiquement difficile.
Bon alors du coup... c'est demain que l'on parlera plus précisément de ces "idées" dont les artisans d'art fourmillent et de leur propriété intellectuelle.
Commentaires
Cela vaut il la peine de ce lancer dans la confection d'objets d'art pour autres chose que le simple plaisir de créerquelques chose de ces mains et qui provient de son imaginaire ?
Le bonheur a besoin d'un peu d'argent, avoir un toit, l'entretenir, le chauffer, manger, se distraire parfois.... Peut on être heureux si on ne sait pas comment on va payer les factures? Je ne le pense pas. Il ne s'agit pas de rentrer dans un système de "consommation effrénée" mais de rester réaliste et ne de pas refuser le monde tel qu'il est, car de toute manière on n'a pas le choix.
Jacqueline Morillon
Vous en vivez.... ??? Et oui... Vivre son bonheur sa passion avec un si grand amour créatif.....
Je me permets de faire passer cet article, de le mettre sur mon site (en citant la source bien sûr) et en l'affichant dans ma salle d'exposition, comme cela je n'aurais plus qu'à indiquer avec mon index la réponse à cette question si souvent posée (et tellement gênante). Un grand merci à toute l'équipe !
Phil
Ayant testé le dur monde de l'artisanat ,ma femme était couturière ! A cette question " et vous en vivez " , La réponse est simple, vous prenez une base horaire smic, que vous multipliez par le temps passé à realiser une oeuvre unique ! et la sans avoir couvert vos charges, vous arrivez à un chiffre que personne n'est prêt à mettre pour acquérir la dite oeuvre d'art !C'est le seul métier ou le temps passé ne passe pas en ligne de compte ! Donc beaucoup de frustration!
Parfois j'ai envie de répondre :
"Ça dépend : Si les visiteurs achètent mes créations : oui. Sinon c'est difficile..."
Saskia Lauth
Céramiste Artisan d'Art
"Et vous, que feriez-vous si vous viviez?"
B. Rialtey, Calligraphe et Enlumineur
J ajouterai que comme dans le commerce comme ailleurs "il vaut mieux faire envie que pitié", nous sommes coincés par cette question où la sincérité ne peut que nous desservir. Une situation vraiment délicate et quasi permanente.
Hubert (potier)
Pour moi il répond avec légèreté à un sujet délicat mais,@Hubert, il faut lire entre les lignes. Voue en vivez? -Financièrement c'est (très) dur mais la richesse de cette vie qu'on mène vaut beaucoup plus que de l'argent. On a quelque chose que beaucoup de personnes cherchent mais ne puissent pas trouver / acheter.
Par contre les JEMA je les boycotte! Si l’état veut qu'on fasse une animation, qu'il nous rémunère!
Je vis bien de mes creations et mes amis aussi.
Je partage! Pour répondre, je suis créatrice et animatrice… "je gagne de l'argent"! C'est quoi en vivre? Et en quoi cela les regarde? Est ce qu'on leur pose la même question?! En fait, je me dis que cela dépend de plein de choses et de l'éducation. Aux USA, en Irlande ou en Angleterre, le craft, la création en général est un art de vivre et un moyen d'expression! On le valorise à l'école, déjà! En France, les enfants ne testent pas grand chose, l'aquarelle que je peins n'est même pas enseignée la plupart du temps! C'est notre rapport à l'art, qui devrait changer, à la création en général, on devrait pouvoir être fièr de ce qu'on fait et ne pas avoir à se justifier! Personnellement, je suis fière d'être cheffe d'entreprise artisane en créations textiles, voilà comment je me présente! Il faut être fière de ce qu'on fait, sinon personne ne sera fiers de nous!