"Futurs en transmission": s'en donner les moyens

Cette année la thématique des JEMA est clairement tournée vers les jeunes, la formation, l'avenir des métiers d'art. Très bien.
On conviendra toutefois, maintenant que l'on voit la cascade de réactions à notre sujet "Et vous en vivez?" (un énorme merci pour ça, c'est passionnant de vous lire et nous espérons que les personnes qui prennent les décisions sur le secteur économique vont aussi le faire), qu'il y a tout de même quelque chose de paradoxal à vouloir envoyer des jeunes vers des métiers où, comme l'ont dit certains, on "survit" plus que l'on ne vit.
Mais continuons sur cette thématique porteuse d'espoir - nous y adhérons, nous voulons y croire, sincèrement.

Regardons la photo qui fait la une du programme papier en Ile-de-France, et qui est diffusée un peu partout:


On peut y voir, si on la regarde vite fait, deux jeunes (parité respectée) entrain de travailler ensemble dans un décor étrange et une lumière bleutée. Ils sont concentrés, ont des vêtements d'artistes et ils sont assortis au logo des JEMA bleu et jaune.

Mais que font-ils donc??? Nul ne le sait, on distingue de la fibre de verre, un pinceau. Ils ne se parlent pas, ne se regardent pas. L'un a des gants, l'autre pas. Ils n'ont pas de masque, pas de lunettes de protection. Ils sont debout, ils ont posé leur ouvrage à la verticale, coincé par un pot... fermé. Où sont-ils? Quelle est cette cloison derrière eux et pourquoi cette lumière crépusculaire?

C'est bizarre, non?...

En quoi cette image parle-t-elle de transmission? En quoi peut-elle faire envie aux jeunes? (c'est sûr qu'on aurait pu faire pire: avec des masques et des lunettes de protection).

Sincèrement, pour nous qui cherchons toujours à valoriser le travail des artisans d'art (sans l'enjoliver non plus), nous sommes vraiment perplexes face à ce choix de photo, très symptomatique nous-semble-t-il d'un message peu clair, d'un secteur mal défini, d'un avenir à ce jour peu engageant.
L'image est aussi peu lisible que la politique économique qui devrait valoriser le secteur.

Essayons de clarifier, et de faire un état des lieux.

À l'origine, il y a l'envie de créer, et le bien-être qu'apporte la création. L'activité créatrice est valorisée chez le bébé en éveil, elle est au coeur de l'école maternelle où l'on verrait bien deux enfants travailler comme sur cette photo. Et puis, elle devient marginale et on l'étouffe, doucement, la créativité, jusqu'au lycée où il n'y a (sans option) aucun enseignement d'expression artistique. Le dessin, par exemple, n'est maîtrisé que très rarement à la sortie d'un parcours scolaire. Et on ne parle même pas de l'histoire de l'art.
Pour ceux qui ont quand même, malgré tout, une vocation pour un métier créatif, il y a des écoles et surtout les MANAA, mises à niveau Arts Appliqués. Car il faut ré-apprendre des bases.

Ensuite, il y a quelques rares écoles, des formations, et l'apprentissage en atelier. Beaucoup d'artisans d'art forment des jeunes, ils ont besoin d'eux et en plus ils aiment communiquer leur passion.

Il y a aussi les reconversions professionnelles, de plus en plus nombreuses. Des cadres, des banquiers, des enseignants, des ingénieurs, et des "burned out" qui ont décidé de tout lâcher pour ne pas craquer, et/ou qui veulent développer de nouvelles compétences. Certains sont allés au Pôle Emploi, et le conseiller leur a dit: "mais oui, les métiers d'art c'est très bien! créez votre entreprise ou auto-entreprise, vous aurez des aides pour vous lancer (et nous des chômeurs en moins, et pour longtemps)...".

Mais au bout de cela, il y a la question "Et vous en vivez?"
Et bien oui, un jour l'apprenti va s'en aller pour laisser un autre bénéficier de la transmission, et il va essayer de monter son activité, etc. Va-t-il en vivre, lui et l'autre qui lui succède...? et puis tous les autres?

L'enjeu est de taille, mais il vaut la peine d'être relevé.
S'en donner les moyens, c'est aider le marché à se développer, en France comme à l'international. Mais d'abord en France.
Quand les produits bio ont fait leur apparition, peu de gens les achetaient. Mais les mentalités ont changé, grâce aux médias, grâce aux associations, grâce à certaines heureuses politiques économiques.
Nous pensons que le marché de l'artisanat d'art peut se développer de la même façon, mais pour cela il faut une vraie, une forte, une indéfectible volonté politique.

Les pouvoirs publics doivent revoir leur perception du secteur Métiers d'art et de son potentiel. Au moins, de sa nécessité. Économie et culture doivent oeuvrer activement et rapidement au rapprochement des citoyens et des artisans d'art dans une démarche d'achat éthique, d'un nouveau mode de consommation. Actuellement, ils le font mal, ou pas du tout. Localement, les villes favorisent un marché du "fait-main" sans vision plus ambitieuse de ce qu'est le vrai "savoir-faire" et l'enjeu du secteur économique des métiers d'art. C'est cette tendance qui nuit à la réussite économique des professionnels des métiers d'art, et notre association - soit dit en passant - a bien du mal à imposer un événement de qualité quand tant de marchés de créateurs fleurissent, où exposent des particuliers qui créent à leurs heures perdues.

Par ailleurs, et pour finir, "Futur en transmission" peut aussi se lire dans l'autre sens: les jeunes peuvent transmettre aux artisans (aux gestes sûrs, mais perplexes face à un ordinateur) leur compétences technologiques, leur maîtrise des nouveaux outils techniques et de communication.

Nous voudrions voir ensemble les "makers" ou les "néo-artisans" travailler avec les maîtres d'art, les voir plus souvent exposer ensemble comme c'est le cas à l'excellente biennale Emergences à Pantin qui, avec un parti-pris de modernité, rassemble à la fois startups, recyclerie et artisans d'art dans un même salon. Beaucoup de politiques territoriales et de médias clivent ces deux tendances de la création ("innovante" dans les fablabs, "d'exception" dans les ateliers), pourtant parfaitement compatibles.... message important à faire passer aux jeunes rêveurs.

Sinon, comment développer le marché des métiers d'art? On en parle demain!



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