La désirabilité des métiers d'art

Le sentiment étrange que l’on a parfois en tant qu’artisan d’art, c’est que nos métiers sont plus désirables que nos objets.
C’est volontairement que je substitue le terme “désirabilité” à “marginalité”, d’un article à l’autre. Il y a un fantasme de ces métiers dits “d’exception”, de la rareté de nos savoir-faire, une fascination de ce choix de vie professionnelle.
“Désirabilité” est un terme souvent utilisé dans le marketing, alors que marginalité... pas vraiment. Or, si l’on y regarde de près, dès qu’un média aborde le sujet de l’artisanat d’art (ou des “néo-artisans”), il le fait à grand renfort de photos de gestes, d’ateliers joliment poussiéreux, de portraits de personnes en quête de sens, de parcours atypiques. La reconversion, précoce ou tardive, vers les métiers de l’artisanat est le grand sujet tendance du moment, et ce traitement pose un vrai problème auquel il faudrait apporter des nuances lors des JEMA.
Ce qui doit être désirable, c’est avant tout l’objet créé par l’artisan.
Cette évidence, nous voudrions la souligner, la surligner, la mettre en caractères gras est un minimum pour notre avenir. Il faut recentrer l’attention portée par tous, la presse, les médias, et même les institutions (territoriales, nationales) vers le produit de ces métiers. Car oui, si les métiers d’art sont une issue possible à des quêtes de sens, à des quêtes de nouvelles compétences, au développement d’une autre intelligence, et à des recherches d’emploi tout simplement!, ils ne pourront pas se développer s’ils ne sont pas viables économiquement. Et leur viabilité, c’est par la vente de nos objets que nous pouvons l’assurer.
De ce glissement de notre attractivité résulte un glissement de nos activités: si ce sont nos gestes et nos savoir-faire qui suscitent l’envie, alors nous ouvrons des cours, des ateliers, des stages. Il faut bien “en” vivre, non? Mais alors, on tourne en rond: on produit moins, on fabrique moins, on transmet plus, en transmettant on permet aux apprenants de faire leurs propres objets, et peut-être de se lancer dans une activité d’artisan d’art qui les fait tant rêver. D’artisans, nous devenons enseignants. Or, un geste d’exception s’acquiert par la maîtrise technique, la maîtrise technique s’acquiert par la répétition dans le travail, au quotidien. La créativité artistique naît de la disponibilité, de la concentration, d’un processus solitaire et même parfois intime.
Nous saluons ici toujours (et nous y contribuons par nos salons qui sont si difficiles à porter, malheureusement) les initiatives qui mettent en avant les objets de créateurs: lieux de diffusion, blogs associés à des e-shops, boutiques de musées ou d’offices de tourisme, etc... Espérons que les journalistes intègrent de plus en plus de photos de nos objets dans leurs sélections, leurs coups de coeur, que les boutiques développent des corners “fabriqué à la main par un atelier d’art”, que la désirabilité de l’objet-oeuvre soit peu à peu à la hauteur de l’autre désirabilité illusoire: celle d’une vie professionnelle marginale. Une chose est sûre: l’objet ne vous décevra pas, alors que le métier d’art... risque de susciter la désillusion.
Il suffit de ne pas “vendre” le travail manuel avant de “vendre” l’objet créé à la main.
Et si nous y parvenons, alors les métiers d’art pourraient se développer et apporter leur pierre (taillée bien sûr) à un renouveau sociétal... apparemment nécessaire.

*sur la photo, l’objet du désir est un photophore en porcelaine d’Atelier Vitalis. Copyright Julie Baijer.

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